Interview sans langue de bois ! (2ème partie)

Eclairages sur les batailles de la CFDT
vendredi 14 octobre 2011
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Cette seconde partie de l’interview de Bernard MARTIN nous permet de mesurer à quel point la CFDT a pu apporter des plus-values dans ce que les organisations syndicales appellent « l’action revendicative ».

La Rédaction : Dans la 1ère interview, tu as parlé essentiellement des différences de pratiques entre syndicat. Cela peut-il se traduire aussi dans les axes revendicatifs défendus par les uns et les autres ?

Bernard MARTIN  : Bien entendu. Mais avec le temps, les lignes défendues par les uns ou les autres s’estompent. Au final, beaucoup de résultats obtenus par la CFDT sont intégrés comme acquis par les autres organisations. Nous sommes souvent victimes du syndrome de la « mémoire de poisson rouge », bien que nous ayons la « paternité » d’un certain nombre de batailles menées et gagnées, souvent contre tous.

LR : des exemples ?

BM : Il y en a à la pelle depuis 1990, jusqu’à ces dernières semaines avec le contrat santé des fonctionnaires. Le 1er exemple que j’ai connu a été la réforme des PTT en 1990. La CFDT a mené une campagne qui a duré 5 ans, pour réformer les PTT de l’époque, afin d’éviter la privatisation souhaitée par les libéraux qui avaient le vent en poupe. Mais aussi pour revaloriser les carrières des fonctionnaires des PTT en entrant dans une logique de fonctions et de classifications. Accusés à l’époque de « casser le service public » et le statut de fonctionnaires, nous en avons payé le prix électoral, en perdant notre 2ème place, puis notre 3ème à La Poste. Les retours de l’histoire sont parfois cruels, car tous les syndicats se sont retrouvés en 2009 pour défendre ce même statut d’entreprise et la particularité des postiers dans le secteur public.

LR : C’est un peu lointain ça ! Ce que tu dis ne parle pas aux jeunes postiers. Y’a-t-il d’autres actions menées par la CFDT ?

BM : Je voulais simplement démontrer que ce que nous obtenons, souvent à contre-courant, est ensuite approprié par d’autres. Tu veux des éléments qui parlent aux jeunes ? Je vais t’en donner, et dans la
même veine ! La construction de la Convention Commune LP/FT, socle des droits des salariés, où nous avons connu les mêmes attaques. Or, depuis 1991, la CFDT a été très consciente des difficultés d’avoir des agents sous deux statuts différents. Dès lors, l’objectif, pour nous, était de faire converger les droits des uns et des autres pour aboutir à un système de gestion le plus équitable possible. Ainsi, nous avons obtenu qu’à fonction égale, il y ait classification égale. Auparavant, quelques soient la fonction, les salariés étaient 1.2, point barre. Puis nous avons obtenu un système de promotion spécifique pour les salariés, qui sans ça, s’ils voulaient être promus, devaient démissionner puis signer un nouveau contrat.
C’était dans les années 90. Dans les années 2000, nous avons défendu le principe de « l’achat de tournées » par les salariés à la distribution, principe obtenu malgré l’opposition SUD/CGT/FO. Enfin, dans la continuité de « facteurs d’avenir », nous avons agi pour obtenir des process de promotions identiques aux fonctionnaires et salariés. Bref, nous avons fait vivre le slogan « ACO, postier à part entière ». Nous avons été traînés dans la boue par nos camarades des autres organisations pour avoir revendiqué puis agi pour plus d’équité. Aujourd’hui, tout ça paraît normal. C’est le réformisme CFDT, réformisme qui veut transformer les droits et les faire évoluer, devenant ainsi des acquis sociaux. Mais il aura fallu beaucoup de courage et ne pas se soucier des conséquences électoralesà¢â‚¬Â¦

LR : Et les 35H ?

BM : Très juste. Sauf que tous les syndicats ne nous ont pas attaqué, seulement les deux principaux, notamment lorsque nous avons obtenu le compte individuel, pour pouvoir apposer notre signature de l’accord national en 1999. Aujourd’hui, voir SUD, parfois avec FO, pratiquer une guérilla juridique contre-productive pour le personnel, en se référant à l’accord de 1999 serait savoureux si les conséquences ne risquaient pas d’être aussi dramatiques pour les agents. Sinon, cet accord est aussi le reflet des stratégies de négociations mises en oeuvre : quand on obtient à l’arraché, comme la CFDT en 99 dans un contexte économique et politique différent, le compte individuel (6 jours de RTT) et le forfait cadres, les résultats ne sont pas pérennes, puisqu’à la faveur des différentes réorganisations, petit à petit, ces 6 jours ont disparu, et La Poste remet maintenant en cause le forfait cadres. Il faut dire que les 35h, avec les lois Sarkozy de 2008, sont devenues un vrai mille-feuilles, et un casse-tête juridique.

LR : C’est vrai que tu formes les négociateurs CFDT, tu parles en connaissance de cause ! Un autre dossier majeur, celui de « facteurs d’avenir » auquel tu as contribué, a-t-il été aussi tendu ?

BM : C’est un faible mot. Car en plus de tous les autres syndicats, nous avons du férailler ferme avec La Poste. En octobre 2005, nous avons soumis l’idée au pilote « avenir des métiers de la distri » pour l’IdF (Ndlr : Paris 07 PDC), d’un pyramidage de classifications du 1.2 au 3.2 à la distribution avec le principe du travail en équipe. Pour une équipe de 15 facteurs : douze facteurs en 1.2 ou 1.3, trois facteurs en 2.1, et un facteur en 2.2. Mais les facteurs 2.1 devaient n’assurer que des fonctions de remplacement ou d’entraide, et le facteur qualité faisait 50% de qualité ou d’animation d’équipe, ce qui permettait de revaloriser la fonction d’un chef d’équipe sur l’établissement en 3.2. Ce schéma, quand il est passé sous la moulinette du siège Courrier, a été estimé beaucoup trop cher payé. Il n’a pas été repris au niveau national, et seules les DOTC parisiennes, sous l’impulsion de la seule CFDT, l’a gardé, mais avec un demi facteur équipe en moins. L’avantage, c’est qu’aucun jeune facteur n’était rouleur, et permettait un déroulement de carrière à la distribution, alors qu’avant, les facteurs devaient passer à l’Enseigne pour être en classe 2. Nous avons batailler ensuite, pour que le pyramidage intègre une fonction en 2.3, et surtout pour que la moitié des facteurs en classe 1 soient 1.3 !

LR : Et les autres syndicats ?

BM : Ils se sont opposés fermement à « facteurs d’avenir », même FO pourtant signataire de l’accord de développement professionnel des facteurs, en revendiquant le 2.1 grade de base et sans vouloir s’atteler aux projets organisationnels. Cette posture syndicale, qui pour moi est aberrante car le 2.1 est un niveau de recrutement externe où le bac est demandé, a permis à La Poste de passer en force d’autres idées, comme la sécabilité, la sur-sécabilité, les semaines de sécabilité imposées, sans véritables garde-fous. Or, malgré les dévoiements constatés, « facteurs d’avenir » tel qu’il a été conçu, n’est pas vecteur de productivité au sens strict du terme : ce sont les réorganisations liées au trafic qui le sont.
Mais l’amalgame a permis aux contestataires de tous poils de masquer leur déficience sur le projet organisationnel, tout en tentant de taper sur la CFDT ! De fait, La Poste et ceux qui s’opposent à facteurs d’avenir sont des alliés objectifs. Aujourd’hui, le schéma « facteurs d’avenir » mériterait d’être révisé et revalorisé, sous les angles « santé au travail » et « fidélisation » des facteurs.
L’harmonisation vers le haut devient urgente, au sein de chaque DOTC et entre les DOTC. Mais c’est une autre histoire.

LR : Tu évoquais le contrat santé des fonctionnaires. Pourquoi ?

BM : Là , je suis plus qu’en colère, je trouve scandaleuse l’attitude de FO. La CFDT, toujours dans l’objectif de l’équité entre les personnels de statuts différents, a mené plusieurs campagne pour instaurer un contrat collectif de prévoyance-santé pour les fonctionnaires. On nous a rétorqué qu’il fallait une loi et un décret d’application. C’est tout naturellement que nous nous sommes servis de la Commission Ailleret sur la loi postale pour que la loi intègre la négociation d’un contrat collectif prévoyance-santé. Or, la MG, au travers de son Président (FO), et la fédération FO, ont fait feu de tout bois pour s’y opposer. A leur demande, un groupe de la majorité du Sénat, a déposé un amendement pour effacer cette avancée dans la loi. Il aura fallu toute notre vigilance un samedi soir à minuit, pour que cet amendement soit retiré. Ensuite, ils ont instrumentalisé les partis d’opposition pour qu’ils déposent un recours devant le Conseil d’Etat. Les auditions ont permis à la CFDT de défendre son point de vue, et le Conseil d’Etat a rejeté les recours. Et que voit-on maintenant ? on peut lire dans différents tracts et dans leur profession de foi que c’est « grâce à FO » queà¢â‚¬Â¦Mais de qui se moque-ton ? La période électorale n’excuse pas tout, et en tout cas, pas la crapulerie !

LR : Et ben dis doncà¢â‚¬Â¦

BM : Comme tu le dis, j’en ai marre avec l’âge d’être pris pour le naà¯f de service ! Loin de moi l’idée que la CFDT détient la science infuse, mais même si on peut nous faire des reproches, et je nous en fait quelquefois, je sais quelles sont nos valeurs et je sais quelle est notre déontologie.

LR : Merci Bernard. En espérant que les électeurs t’entendentà¢â‚¬Â¦